L’argot, en tant qu’un inventaire du lexique, existe depuis plusieurs siècles sous différentes formes et se produit en diverses manières.Au début, et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, l’argot se manifeste comme l’expression linguistique d’une profonde fracture sociale dont les protagonistes sont des gens littéralement refusés par la société.
Sa nature cryptologique est ,en conséquence, justifiée par lanécessité de ne pas faire comprendre par tous ceux qui les rejetaient et emprisonnaient, afin de mieux les tromper.
Petit à petit, il cesse d’être uniquement la langue de la pègre, c’est-à-dire des hors-la-loi, pour entrer et souvent se confondre avec le langage populaire et familier : un exemple vient du mot flic, forme argotique apocopée de flicot, connu et utilisé par toutes les catégories sociales. Des romans, comme les polars de San Antonio, des films (des policiers, surtout), des chansons, comme celles de Renaud, des sketches même, pensons au grand Coluche, contribuent à vulgariser l’argot et à éliminer la fracture linguistique qui le concerne, après que l’ultérieure démocratisation de la société française a réduit les fractures présentes entre les différentes couches de la population. Et, tout récemment, c’est un autre grand romancier, Daniel Pennac, qui, à travers la tribu Malaussène, a fait mieux connaître la crudité mais aussi la poésie de ce langage. Des communautés de cultures et de langues différentes cohabitent dans les cités et quartiers des villes françaises. Du fait de leurs pratiques langagières une interlangue émerge entre le français véhiculaire dominant, la langue circulante, et les divers vernaculaires du mosaïque linguistique des cités: arabe maghrébin, berbère, langues africaines et asiatiques, langues de type tzigane et créoles.
Les locuteurs, jeunes et moins jeunes, qu’ils soient français de souche ou issus de l’immigration, sont parfaitement conscients de cette mixité langagière et utilisent cette variété de français métissé à des fins identitaires. Ces pratiques sociales et langagières favorisent l’apparition de formes argotiques, qui sont autant de preuves des stratégies de contournement des interdits et tabous sociaux mises en oeuvre par les groupes de locuteurs qui produisent ces formes.
Une contre légitimité linguistique peut ainsi s’établir et la situation linguistique française contemporaine suscite des parlers argotiques plus ou moins spécifiques à tel ou tels groupes et qui ont toujours existé de manière concomitante avec ce que l’on appelle par habitude «langue populaire».
L’argot moderne n’est plus vraiment un langage secret, il est plutôt un des éléments dans la palette de choix dont dispose le locuteur. Lorsque l’argot est présent à la radio, à la télévision ou au cinéma, il est utilisé dans la publicité, son statut s’en trouve nécessairement modifié. On voit que le passage entre l’argot et la langue est très flou et qu’il est impossible de le tracer de façon nette. C’est pour cette raison qu’on peut trouver de nombreuses définitions de l’argot et diverses approches de cette problématique:l’argot, pour Dauzat, au sens étroit du mot, est le langage des malfaiteurs. Esnault considère l’argot comme l’ensemble oral des mots non techniques qui plaisent à un groupe social. À l’argot employé soit comme une langue secrète, soit comme un signe de reconnaissance, comme langage des étudiants est encore attribué, par Bonnard, le sens de langue triviale, la plus vulgaire du lexique populaire, connue et comprise dans toutes les couches sociales. D’autres linguistes distinguent l’argot des langues spéciales appelées jargons qui ne sont pas des langues secrètes, mais plutôt des langues de métiers. D’après Calvet l’argot est devenu une façon de se situer par rapport à la norme linguistique et, du même coup, par rapport à la société.
Le vocabulaire argotique est assimilé dans le langage quotidien et, exploité au quotidien et compris par tous, conserve simplement des connotations «vulgaires» ou «populaires». Il faut prendre en considération que l’argot a parcouru, pendant les siècles, un long chemin d’évolution et qu’il a considérablement influencé la langue commune, normale, et, dans certains cas, a pénétré dans les autres niveaux de la langue: du français populaire et familier jusqu’au français littéraire.
Martina Calvano